On ne sait pas aujourd’hui comment nos rêves se sont amenuisés et dissipés, sans qu’on ait pris les mesures nécessaires pour y faire face. Pour avoir subi sans relâche les mauvaises manières, pour avoir été l’otage des opportunistes, à peine si on leur reconnaît le mérite, la Révolution tunisienne s’est heurtée à un déficit
de gratitude et de bénédiction. Ses vrais acteurs se sont trouvés dans une situation fragilisée et qui n’a rien de rationnel. Ce qui constitue une menace majeure
pour le présent et l’avenir.
L’on ose reconnaître que les dix dernières années n’ont pas été faciles. Elles ne l’ont pas été pour la plupart des Tunisiennes et des Tunisiens. Et encore moins pour les jeunes encore et toujours à la recherche d’emploi et pour toutes les catégories démunies et désargentées. C’est toute la raison d’être de la Révolution qui est encore à la recherche de reconnaissance. Nos institutions, nos économistes, nos sociologues, nos politologues peuvent tout dire et penser de la Révolution tunisienne. On a beaucoup parlé du rôle artificiel ou réel des uns et des autres. Beaucoup de sujets débattus, mais aussi des vérités jusqu’ici cachées et pas encore élucidées. S’il y a une chose à retenir, c’est tout particulièrement les objectifs non atteints et les rêves évaporés en dix ans. On ne voit pas aujourd’hui comment nos rêves se sont amenuisés et dissipés, sans qu’on ait pris les mesures nécessaires pour y faire face. Pour avoir subi sans relâche les mauvaises manières, pour avoir été l’otage des inopportuns, à peine si on leur reconnaît le mérite, la Révolution tunisienne s’est heurtée sur un déficit de gratitude et de bénédiction. Ses vrais acteurs se sont trouvés dans une situation fragilisée et qui n’a rien de rationnel. Ce qui constitue une menace majeure pour le présent et pour l’avenir. Le paysage politique n’est pas vraiment ce que l’on espérait. Il se laisse de plus en plus emporter par certains dividendes. Ses premiers responsables ne donnent pas l’impression de pouvoir véhiculer les objectifs requis, ou encore la grande restructuration souhaitée. Si le milieu n’est plus conservateur à travers ses modes de fonctionnement, les problèmes auxquels il se heurte n’ont pas trouvé de solution. L’idée qu’il soit replacé, à travers toutes ses composantes, à sa juste place ne date pas d’aujourd’hui. Les véritables besoins et impératifs post-Révolution sont toujours ignorés sous l’effet d’arguments erronés. On pense ainsi à l’entourage, mais tout particulièrement à ceux qui se donnent le droit d’agir et de décider au nom du peuple et l’on se dit que, faute de projet et de stratégie, on se trompe encore sur les priorités, les tenants et les aboutissants. Le privilège de l’esprit créatif et de la diversité, le privilège qui permet d’entrer dans l’histoire et dans la postérité n’a pas été le domaine propre à la plupart de ceux qui, d’une façon ou d’une autre, s’étaient érigés en décideurs. L’incompétence, presque à tous les niveaux, perdure, s’éternise et se conserve. On est dans un environnement où le savoir, l’aptitude et le professionnalisme n’ont plus d’importance par rapport à ce qui se dit, se raconte et se propage. Un autre monde est né même si tous les commentaires et toutes les analyses ne feront jamais le tour ni des multiples réalités, ni des charmes, malgré tout, toujours renouvelés de la Révolution. La réussite entraîne la réussite. Mais l’échec entraîne aussi l’échec. Le fait est là: on assiste aujourd’hui à un genre de démobilisation particulièrement orientée vers l’excès et la disproportion. Beaucoup en font un prétexte, voire des fois une justification. Il ne faut pas chercher ailleurs les raisons des réflexions et des méthodes dénaturées et dénuées de sens. Il ne faut pas chercher ailleurs aussi l’origine du malaise politique. Un discours et des actes qui portent l’empreinte de ces illustres spécialistes du défaitisme. Dans la mesure où plus personne ne semble s’intéresser à ce qu’ils prétendent, ou même à ce qu’ils préconisent, ou bien à leur accorder la moindre attention, on ne s’étonne pas des arguments et des justifications lancés ici et là au moment où leur présence et même leur «compétence» ne sont plus souhaitées. Notre vœu le plus cher serait qu’ils dépassent les slogans, les excès, mais aussi le sens commun, pour mettre en évidence les impératifs et pour permettre réellement aux bonnes volontés d’intégrer et d’inscrire leurs actions dans une dimension qui va au-delà de ce qui existe. La réhabilitation et la relance de tout un pays ne sont plus du ressort de ceux qui sont vraiment capables d’en assumer la responsabilité. Ceux qui gravitent tout autour ne laissent plus de place aux «hommes de la situation». Pareille reconversion se traduit par une confusion dans les rôles, les prérogatives et les vocations. Il y a désormais des façons d’être, de faire et de penser différentes. Et l’on peut réaliser facilement la variété des différentes configurations dans lesquelles est pris le pays.